Dans la peau d'un maton by Arthur Frayer

Dans la peau d'un maton by Arthur Frayer

Auteur:Arthur Frayer [Frayer, Arthur]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Tags: Documents - Essais
Éditeur: Fayard
Publié: 2011-03-31T22:00:00+00:00


14

« Il fait moins le malin,

maintenant, Brad Pitt »

La journée commence mal. Les coudes posés sur le bureau, la tête enfouie entre ses mains, Jean, un surveillant d’une trentaine d’années, se masse les tempes de ses doigts potelés. Il a le visage rond et bonhomme, un peu lisse. Sans même me regarder, il maugrée : « Bon, je te le dis direct : les détenus n’ont pas intérêt à m’emmerder, aujourd’hui. J’ai déjà suffisamment mal au crâne comme ça ! »

Je souris, gêné, sans savoir quoi lui répondre. Pourquoi lui dire ce qu’il sait déjà : que notre boulot est de travailler à la réinsertion des détenus ? Chaque fois que j’ai tenu ce genre de propos, depuis que je suis arrivé, on m’a rembarré. J’étais trop « Enap » ! Quelques mois de coursive me feraient revoir mon discours. « La réinsertion, c’est pour les politiques et les bureaucrates. Ici, il faut juste veiller à ce que les voyous ne se barrent pas. »

Une minute plus tard, Jean a oublié son mal de tête et tonne sur la coursive, écumant de rage : « Les portes, messieurs ! Les portes ! Fermez-moi les portes ! Je dois pouvoir voir ce qui se passe derrière ! » Un prisonnier passe devant lui. « La casquette ! C’est interdit sur la coursive ! Ôtez-moi ça tout de suite ! » Deux minutes plus tard, il crie de plus belle : « Oh, la casquette ! C’est interdit, je vous ai dit. Merci ! Ça commence à bien faire, vous me cherchez vraiment ! »

Je sens tout de suite qu’il n’est pas comme les autres matons. Ses mots sont ceux de tout un chacun, ceux des autres, les miens, mais son attitude est différente. Un ton un peu plus métallique, une légère contraction de la mâchoire quand il s’adresse à un prisonnier, un voile dans le regard qui ne donne qu’une envie : faire le contraire de ce qu’il dit.

À l’Enap, on nous citait Montesquieu : « Tout homme disposant d’un pouvoir est susceptible d’en abuser. » On avait écouté en se sentant investis d’une mission importante. Il allait falloir rester hommes quand nous serions tentés de jouer les petits tyrans. Jean a clairement choisi la seconde option et continue de vociférer sur la coursive.

Il revient vers moi. Le masque menaçant qu’arborait son visage un instant plus tôt disparaît pour laisser place à un sourire en demi-lune : « Je suis un peu psychorigide », confesse-t-il avant de disparaître quelques minutes plus tard au rez-de-chaussée.



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